Connaître les maisons paysannes du Cantal
Le plan suivant s'inspire de celui de la Thèse qu'Alfred Durand, fils de l'Auvergne rurale, consacra en 1946 à la vie dans les massifs volcaniques. Nous essaierons d'appliquer ce plan à l'ensemble de la Haute-Auvergne.
Historique du peuplement
Présence humaine (Néandertaliens) sur les bords de la Cère et de la Jordanne, près de leur confluent, dès le Paléolithique inférieur. Probablement des chasseurs venus d'Aquitaine, attirés aussi par les ressources en silex de grande qualité fournis par les calcaires du bassin d'Aurillac.
A la fin de la dernière glaciation (Würm, fin du Paléolithique supérieur et Mésolithique) nouvelles incursions (Homo sapiens) venues du SO ou du NE : assez nombreux abris sous roche.
Avec le Néolithique l'homme commence à s'installer de façon permanente : habitat de plateaux principalement, surtout à l'Est du massif : Planèze de Saint-Flour, Cézallier.
Age du Bronze et Age du Fer bien représentés : nombreux tumulus, indices de sociétés hiérarchisées. Episode mégalithique notable, à l'Est principalement.
Conquête romaine, mise en valeur du territoire (villae, vici, agglomérations sur les sites d'Aurillac-Arpajon, de Mauriac). Stations thermales. Mines. Forte empreinte sur la toponymie actuelle.
Grandes invasions épargnant relativement la Haute-Auvergne, persistance de la civilisation gallo-romaine. Après 475, Auvergne wisigothique, puis conquête franque. Luttes internes. Recul agricole, pauvreté.
Les époques mérovingienne et surtout carolingienne voient le développement de grands domaines, laïcs ou ecclésiastiques : développement de manses (colons) autour de la réserve domaniale. Ces domaines s'avancent jusqu'au cœur du massif cantalien. Développement de l'élevage bovin.
Nouvelle phase d'invasions : Sarrasins, Hongrois, Vikings. Effondrement des royaumes carolingiens. Morcellement féodal de la France. Reprise après l'an Mil ("optimum climatique"). Importance de l'abbaye d'Aurillac.
Mise en place de l'économie agro-pastorale classique de la Haute-Auvergne au cours des XIIIe et XIVe siècles. Crise au XIVe, épidémies, guerres : abandon de villages. Reprise au XVe siècle.
Maintien de ce système jusqu'à la seconde Guerre mondiale après une apogée vers 1850-60.
Depuis le Moyen âge, rôle très important de l'émigration temporaire (Espagne jusqu'aux guerres napoléoniennes ; reste de la France et Paris).
Le lien ci-dessus essaie de donner quelques renseignements complémentaires :
L'Habitat rural : types, structure, répartition
Terminologie
Il conviendrait d'abord de définir "maison"," habitation", "maison paysanne", "habitat rural".
Pour Demangeon (cité par Faucher, Ann. Géog.1945), la "maison" est un organisme complet grâce auquel l'homme "abrite ses biens, ses outils, ses bêtes, son foyer, sa famille".
L'habitation au sens strict ne sera donc qu'une partie de la "maison paysanne" : celle-ci étant - au sens large de Demangeon - l'ensemble formé par l'habitation elle-même et ses dépendances ou annexes.
L'"habitat rural" c'est l'ensemble du bâti présent dans les campagnes : il comprend, outre les maisons paysannes, les maisons de bourg, maisons de notables, moulins, manoirs etc.
Il s'agit évidemment ici de l'habitat rural « traditionnel », c'est-à-dire antérieur en gros aux années 1960, celui qu'on put observer les géographes et ethnologues du XXe siècle, et tel qu'il nous apparaît encore, plus ou moins modifié et dégradé. Ce terme de "traditionnel" renvoie à celui de "société traditionnelle". Pour J.-R. Trochet (2006, p.16) celle-ci correspond "à la période qui va de la mise en place de nouvelles structures agraires et de nouveaux habitats ruraux aux Xe-XIIIe siècles dans l'Occident médiéval, à la révolution industrielle et agricole des XIXe et XXe siècles, qui transforma profondément ces structures avant de les briser".
Les plus anciens de ces bâtiments ruraux cantaliens ne remontent pas au-delà du XVIIIe siècle pour la plupart ; certains cependant portent des dates du XVIIe et même du XVIe siècle.
Notons que la Haute-Auvergne fait partie de ces provinces « datantes » et même fréquemment «dénommantes», puisque les linteaux des maisons cantaliennes portent souvent, gravés ou sculptés, des initiales ou des noms : propriétaires, constructeurs, rénovateurs...
A - Habitat permanent / temporaire
Selon l'altitude, l'habitat permanent est réparti des points les plus bas (200 m environ aux bords du Lot) jusqu'à 950-1000 m sur le versant ouest de la Haute-Auvergne, et jusqu'à 1100-1200m environ sur le versant Est, moins arrosé : Planèze de Saint-Flour, Cézallier, Margeride. Ces limites ont pu varier au cours du temps : climat, circonstances historiques.
Au-delà en altitude s'étend le domaine des estives, domaine de l'habitat temporaire d'été avec leurs burons, jadis utilisés et habités de mai à octobre. Les burons atteignent 1350-1400 m dans le secteur du Puy Mary, et 1450-1550 m sur les pentes du Plomb du Cantal. Mais sur le versant Ouest du massif, des burons de basse altitude apparaissent dès 600 m environ, en particulier sur les plateaux qui bordent au Nord le bassin d'Aurillac.
Ajoutons que sur les versants des hautes vallées du massif a pu exister une forme d'habitat temporaire d'hiver. En effet, certaines granges-étables d'altitude, éloignées du centre de l'exploitation, pouvaient abriter des bêtes et des domestiques chargés de les soigner.
B - Structure de l'habitat permanent : mode groupé ou dispersé
- Schématiquement, l'habitat de Haute-Auvergne, comme celui du Massif central en général - à l'exception notable des Limagnes - est essentiellement un habitat dispersé. La structure de base semble en être le hameau de 5-6 maisons d'habitation, accompagnées de leurs granges et dépendances. Parmi cette nébuleuse de hameaux, un village ou petit bourg un peu plus important forme le centre de la commune. Lucien Gachon employait l'expression de "villages-hameaux".
L'emploi du terme « hameau » a été critiqué par P. Bonnaud. Malgré son origine normande, ce terme semble entré dans le langage courant.
- Une seule région de Haute-Auvergne fait vraiment exception : la Planèze de Saint-Flour, pays d'habitat groupé, tout au moins en basse et moyenne Planèze, la dispersion reprenant en haute Planèze.
Les données d'Alfred Durand (1946, carte p.411 ci-dessous) indiquaient l'existence d'une certaine opposition Est-Ouest dans le mode d'habitat des massifs volcaniques : le versant Ouest franchement dispersé (particulièrement dans certains secteurs du Nord Cantal, en limite du Puy-de-Dôme, région de fermes isolées) ; l'Est relativement plus concentré au contraire :
A. Durand (1946) interprétait ce contraste comme reflétant celui du type d'économie agricole : dispersion dans les régions à élevage prédominant, concentration dans celles où la culture l'emporte (ou l'emportait au cours des périodes « fondatrices »). C'est schématiquement la règle générale en France. De fait, cette règle semble s'appliquer à la Planèze elle-même, dont la partie haute, comme l'a fait remarquer A. Durand, davantage tournée vers l'élevage, montre également un habitat plus dispersé que la basse-Planèze, terre traditionnelle de culture céréalière.
Par contre, pour le Cézallier, l'assez nette opposition que relevait Durand entre Est plus groupé et Ouest plus dispersé, régions pourtant toutes deux pastorales, se comprend moins. Des conditions climatiques plus rudes suffisent-elles à expliquer ce contraste ?, ou bien faudrait-il prendre en compte également d'autres facteurs : J.-L. Baritou invoque une organisation communautaire de l'exploitation ; L. Gachon suggère une possible influence des Limagnes et de leur habitat groupé.
C - Répartition de l'habitat dans les pays de la Haute-Auvergne
Partons de cette carte simplifiée des pays de Haute-Auvergne :
(in Richesses de France, 1973, p.20)
Lucien Gachon (in L'Auvergne et le Velay) a donné la carte de la densité de la population cantalienne en 1831. L'opposition entre Est et Ouest de la Haute-Auvergne est net. La région la plus favorisée correspond à l'arc formé par le pied occidental du massif volcanique, du Carladez au Sud à la région de Saignes au Nord :
- Dans les bassins sédimentaires de Maurs et d'Aurillac, pays les plus favorisés par leur climat, leur sol et leur relief modéré, l'habitat se disperse sur l'ensemble du terroir argilo-calcaire, presque indépendamment de la topographie. Mais il s'espace dans les zones sableuses proches du socle :
- Les régions de socle cristallin situées à l'Ouest (Châtaigneraie, Xaintrie) forment dans l'ensemble un plateau arqué bordant au Sud-Ouest le massif cantalien. L'aspect général, monotone, rappelle le Limousin, particulièrement en Xaintrie et en Châtaigneraie de l'Ouest. Dans les parties Sud-Ouest et surtout Sud de la Châtaigneraie, le relief en creux s'accentue.
Dans l'ensemble, vallées et gorges y sont plutôt désertes et l'on a surtout un habitat de plateaux. Notons cependant que selon A. Meynier (1931) ces gorges ont pu être habitées, leurs versants étant les sites les plus favorables aux châtaigniers, source traditionnelle de l'alimentation paysanne dans cette région.
Sur le versant Sud de la Châtaigneraie, profondément creusé par les affluents de rive droite du Lot, l'habitat s'aligne au sommet d'échines de plus en plus effilées vers le Sud, véritables serres dominant de 300 m les talwegs de vallées sauvages :
- Toutefois, si l'on atteint l'extrémité orientale de la Châtaigneraie, on constate l'existence d'un habitat de versant, d'abord dans la cuvette que forme le Veinazès, ensuite surtout dans la profonde vallée Nord-Sud du Goul. Cette vallée forme ici la frontière avec le Rouergue (pays de Barrès, Aveyron). L'architecture - maçonnerie de schiste et toits de lauzes - y est d'ailleurs particulièrement remarquable :
Ce type d'habitat de versant paraît prédominer plus au sud dans le Rouergue limitrophe. Il y aurait là, en cette terminaison de la Haute-Auvergne, en accord avec l'aspect général de ce pays schisteux découpé en serres, comme une tendance à un habitat de type « cévenol ».
- Le massif cantalien est habité, sur les plateaux comme sur les vallées qui les séparent, jusque vers 950 m-1000 m à l'Ouest, et 1100-1200 m sur son versant Est, au climat plus sec.
Dans les vallées glaciaires, aux versants souvent très raides, boisés, l'habitat permanent occupe préférentiellement le bas des versants, tout en évitant les talwegs. Il profite parfois de longs replats, surtout présents dans la vallée de la Cère. Plus haut sur les versants peuvent se rencontrer des granges isolées, situées plutôt à l'ubac. L'opposition adret-ubac joue sur la répartition de l'habitat permanent : cette opposition est nette pour celles des vallées rayonnantes orientées Est-Ouest ou NO-SE (Alagnon, Mars, Maronne). Ce n'est pas le cas en revanche pour les vallées Nord-Sud, ni surtout pour la Cère et la Jordanne, ces deux très longues vallées étant orientées NE-SO.
Le versant NE du massif cantalien, plus court, se prolonge sans délimitation nette par le Cézallier. Sur les plateaux, fermes et hameaux recherchent alors particulièrement l'exposition sud et l'abri de reliefs locaux. Certains hameaux du Cézallier, tels Fortuniès, impressionnent par la rudesse de leur situation.
L'habitat temporaire (burons) , caractéristique des hautes terres, y occupe les plateaux et les versants des plus hauts sommets.
La Planèze de Saint-Flour se distingue par un habitat de plateau aggloméré en grosses bourgades rurales :
-La région cristalline de l'Est correspond à la Margeride (au sens large) : ce haut plateau défavorisé, proche de 1000 m, s'apparente au Gévaudan qui le prolonge au Sud : l'habitat tend à s'y regrouper en gros villages ; ceux-ci deviennent plus espacés sur les pentes de la Margeride proprement dite. Ce dernier relief est presque désert, ainsi que les gorges de la Truyère et du Bès :
-Au NE de la Planèze, la profonde vallée de l'Alagnon, très peu habitée, recoupe le prolongement du horst de la Margeride. Elle débouche dans le bassin de Massiac où apparaît assez brusquement un habitat de vallée dont le caractère est bien différent de celui du reste du Cantal. Quelques villages établis au pied de leurs anciennes terrasses (palhas) annoncent, par leur groupement serré et le style plus méridional de leurs maisons, l'approche à la fois des Limagnes et celle du Velay.
Même vallée un peu plus en aval, les palhas de Léotoing (Haute-Loire) :
D - Types de villages
Les campagnes cantaliennes sont donc surtout formée d'une nébuleuse de villages, ou hameaux, petits groupement de 5-6 habitations. Leur structure est le plus souvent lâche.
Dans ces hameaux, on note la tendance « individualiste » à l'isolement relatif des maisons, qui tendent à s'isoler les unes des autres, sinon à se tourner le dos. Une grande importance est attachée à l' « enclos » dans la mentalité auvergnate, et à sa nette délimitation.
Le "couderc" est l'un des éléments caractéristiques de ces hameaux : espace ouvert, commun, il n'est pas nécessairement situé au centre du hameau.
Empruntons à Alfred Durand (1946) trois plans-type de villages cantaliens : Yolet, au contact du massif et du bassin d'Aurillac offre l' ordre lâche de ses maisons éparpillées sur un versant bien abrité :
A l'opposé, en altitude les conditions climatiques imposent une organisation plus strictement Est-Ouest des habitations, conférant à ces villages un plan plus ordonné que dans le bas pays :
A ces types d'ajoute le cas particulier des villages à "barriades", ces groupes linéaires de maisons jointives. Celles-ci correspondent en général au genre des maisons élémentaires, et indiquent plutôt un habitat modeste, sinon pauvre, de manouvriers. Les barriades apparaissent surtout dans les hautes vallées du massif volcanique (Cère, et Jordanne tout particulièrement avec les hameaux remarquables de Benech, Raymond et Rudez). Mais ce mode d'habitat linéaire existe aussi dans le bas pays, en Châtaigneraie par exemple (ainsi à La Serre de Glénat) :
Cadastre napoléonien de Mandailles : trois hameaux-barriades, Rudez, Raymond, Benech.
Certains hameaux ou villages présentent un plan circulaire : la partie principale du hameau-nébuleuse de Serre (Saint-Cirgues-de-Malbert) s'organise nettement autour de son couderc. A Rouffiac de Saint-Simon (Jordanne) par contre, la zone centrale est "privée" :
La maison paysanne de Haute-Auvergne
A - Difficultés d'une classification des maisons paysannes
Une classification s'impose, mais il est difficile pour l'établir de ne pas avoir recours à des critères de natures différentes. Suivant les observateurs et analystes, les points de vue sur la maison paysanne seront soit plutôt ceux de l'architecte, du géographe, de l'historien, de l'ethnologue et de l'anthropologue, voire du linguiste (comme l'était Albert Dauzat qui a notamment opposé synthétiquement "maison latine" et "maison gauloise"...).
Bien qu'elle ait été fort critiquée, et bien qu'une tendance actuelle soit à la classification des maisons rurales selon le plan de l'habitation (cf. Ch. Lassure, 1993), nous partirons de la classification de Demangeon, d'abord parce qu'elle est fonctionnelle : de fait, la maison paysanne - la ferme - est (fut) à la fois habitat, lieu et outil de travail. Cette classification repose aussi sur des critères extérieurs, morphologiques, plus accessibles à l'observateur que le plan de la maison, susceptible d'ailleurs d'avoir été modifié au cours du temps. De ce point de vue, l'examen extérieur, des maçonneries en particulier, est important.
Rappelons les quatre grands types de maison distingués à l'échelle de la France par Demangeon :
(1) maison-bloc à terre ; (2) maison-bloc en hauteur ;
(3) maison à cour ouverte ; (4) maison à cour fermée.
Ces types, qu'il ne faut évidemment pas considérer comme statiques (reproche sans doute infondé fait à Demangeon), se retrouvent en Haute-Auvergne : les trois premiers avant tout, le quatrième y étant exceptionnel.
Jean Cuisenier (in Poitrineau, 1999 p.13) a souligné l'importance de distinguer "genres" et "types" des maisons rurales. Les genres sont les "classes de maisons reconnues comme similaires par les usagers" ; il leur correspond donc en général des mots dans la langue vernaculaire. Les "types", eux, sont les "classes de maisons reconnues comme similaires par l'anthropologue".
Mais, de même que le plan, le "genre" tel que défini par J.Cuisenier, échappe par définition à l'observateur puisque celui-ci n'est pas "usager" de la maison. Il peut simplement tenter, au vu de la maison paysanne cantalienne, de la faire entrer dans l'une des catégories générales suivantes : maison élémentaire, maison de petit exploitant, maison d'exploitant aisé, maison de maître.
B - Genres de la maison paysanne de Haute-Auvergne
A la suite d'A. Poitrineau (1999, tableau 4, p.85) nous résumerons cette "séquence des genres" - au sens de J. Cuisenier - appliquée à la Haute-Auvergne (et en laissant à part l'habitat temporaire qu'est le buron) :
- maison élémentaire, ou de manouvrier : celle de l'ouvrier agricole, celui qui n'a que ses bras, et pratiquement ni terres ni bêtes.
- maison d'exploitant : catégorie principale dans laquelle on aurait toute la gamme des propriétaires petits et moyens : à la suite de Poitrineau et en généralisant l'emploi de ce terme, nommons-la la "borde". Notons le terme de "lo bourioto" désignant la petite ferme en dialecte aurillacois, selon Lhermet (1931, p.95).
- maison de fermier d'un domaine, c'est à dire la borie (à ne pas confondre avec l'acception récente de ce terme : celui de la cabane de pierre sèche).
- maison de maître enfin.
Essayons schématiquement de les illustrer de la façon suivante
- Maisons élémentaires : en général au sol, sans étage, de plan carré, relative pauvreté des matériaux :
L'un des intérêts du bâti rural cantalien nous semble être la relative abondance de telles maisons de manouvriers.
- Maisons d'exploitants. Au sol ou en hauteur, à étage ou non. On peut considérer a priori que l'importance de l'exploitation est reflétée par celle, apparente, de la partie habitation de cette "borde". Exemples possibles d'une telle "séquence" :
- "Borie" : l'importance sociale de cette catégorie - maison de ferme dépendant d'un domaine bourgeois ou noble - a été soulignée notamment par L. Gachon. Le domaine va en général apparaître à l'écart du hameau-village ; la maison de ferme elle-même peut rester modeste, mais l'importance du domaine sera indiquée par l'importance et le nombre des granges, le type d'annexes (pigeonnier, logements de domestiques...), par la présence proche d'une maison de maître, d'un manoir voire d'un château :
(Notons que cette habitation de la Borie-Haute, avec ses deux pavillons, offre un plan qui n'est pas sans rappeler l'un des plans-types des villas gallo-romaines).
- Deux des trois granges de la ferme dépendant du château de Labro (la maison de ferme elle-même est ici d'importance modeste) :
- Maison de maître : les exemples en sont nombreux. Elle sera pour nous reconnaissable à son relatif isolement par rapport à l'exploitation, sa situation dominante, son volume important, son architecture ordonnancée marquée par la symétrie :
C - Types et diversité de la maison de Haute-Auvergne
Concernant la notion de "type" : il est certain que s'impose à travers la France l'idée qu'une certaine relation existe entre d'une part région, province, pays, et d'autre part l'aspect de la maison paysanne, de la ferme, du village etc. Cet aspect dépendant notamment de la forme architecturale, des matériaux (murs, toitures etc.) et aussi du mode de disposition du bâti. Il serait étonnant a priori qu'une région aussi caractérisée que la Haute-Auvergne n'ait pas sa maison-type. Et de fait, l'image première sera sans doute celle d'une maison construite en pierre volcanique et couverte d'un toit de lauzes. Mais cette image emblématique demande à être nuancée, ce qui ne saurait surprendre puisque la Haute-Auvergne offre des terroirs variés et qu'elle se trouve, bien qu'isolée, à un carrefour d'influences.
La maison cantalienne ne peut en effet être rapportée à un modèle unique. J.L. Baritou (1975) en a distingué six types correspondant à chacun des principaux pays de la Haute-Auvergne. Claude Gauthier, également en fonction de la géographie, va jusqu'à caractériser neuf types :
Types de maisons selon Claude Gauthier
Pierre Moreau (1975) prenant en compte à la fois le pays et le "niveau social" de l'habitant (le "genre") est amené à reconnaître six types (qu'il a remarquablement illustrés.). A. Poitrineau (1999) distingue, à l'échelle de l'Auvergne, trois grands groupes : bloc à terre (élémentaire ou complexe, et avec variantes locales), bloc en hauteur (avec trois variantes par pays), et types mixtes (Planèze, Aubrac) : d'où au moins sept ou huit types pour la Haute-Auvergne.
Pour essayer de classer les maisons paysannes cantaliennes, nous utiliserons d'abord ces deux critères fondamentaux, et de natures différentes, que sont le type de toiture et l'organisation de la ferme. Une double dualité fondamentale apparaît alors à travers la Haute-Auvergne
entre toits "pointus" et toits "plats" ;
entre ferme-bloc et ferme à bâtiments dispersés.
Ces deux critères étant indépendants, leur combinaison conduit à reconnaître 4 grands types de maisons. Nous utiliserons alors un troisième critère : celui de la construction en hauteur, ou non. Examinons d'abord les deux premiers critères.
1- Dualité des toitures
C'est là peut-être le caractère le plus directement frappant puisqu'il est repérable sur chaque bâtiment.
- Les toits "pointus", ou à forte pente, correspondent d'abord aux anciennes toitures en chaume. Ce sont actuellement les toits couverts en lauzes ou en ardoises (ou autres matériaux plus récents). Ils ne sont jamais couverts de tuile-canal. Ils peuvent par contre être recouverts de certaines tuiles plates, propres au Bassin d'Aurillac et à ses marges montagneuses ; il en existe deux variétés : arrondie en écaille ou en losange. Ces tuiles plates ne sont normalement utilisées que sur les toits à forte pente.
- Les toits "plats" ou plutôt à faible pente sont les toits "méridionaux" caractéristiques du fait de leur couverture constituée presque exclusivement (à l'origine) en tuile-canal (tuile ronde) :
En France, la limite entre les deux types fondamentaux de toits, à forte pente au Nord (tuile plate, ardoises, lauzes), à faible pente au Sud (tuile ronde) a été tracée par J. Brunhes. Voici cette carte classique (in Hanotaux, 1920, t. I, p.440) :
Le domaine des toits aigus "descend" jusqu'au Rouergue. Mais il subit au niveau de la Haute-Auvergne une double attaque : à l'Est à partir des Limagnes, et surtout à l'Ouest où a lieu, à partir du bassin aquitain, une "remontée" des toits plats jusqu'à Aurillac :
Précisons le passage de cette "frontière" au niveau du Cantal lui-même grâce à la carte des toitures traditionnelles établie par le CAUE en 1983, dans un but de règlementation :
La Haute-Auvergne peut donc être subdivisée (en négligeant sa frange Nord) en trois grandes "régions de toits" :
A - la zone "rouge" orientale, caractérisée par des toits plats à tuile-canal, y apparaît homogène, massive : elle correspond au bassin de Massiac et à la Margeride, plus exactement à la région de socle cristallin située au Nord et à l'Est de Saint-Flour. La marge transitionnelle avec la zone bleue est restreinte : elle correspond approximativement à la basse Planèze.
B - la zone "bleue", aux toits pointus caractéristiques, recouvre le Cézallier, l'Aubrac, ainsi que la plus grande part du massif cantalien. Au SE elle couvre toute la rive gauche (ie Sud) de la Truyère, mordant même sur une partie de la Margeride.
C - Le « grand Sud-Ouest » de la Haute-Auvergne, plus complexe, est particulièrement intéressant :
a- seul le bassin de Maurs, terminaison calcaire de la Haute-Auvergne au contact du Quercy et du Rouergue, est exclusivement à toits plats à tuile-canal.
b- entre Maurs et Aurillac, du SO au NE, la Châtaigneraie « axiale », importante et ancienne voie de passage SO-NE entre Aquitaine et Auvergne, est mixte. Toutefois, les toits plats rouges y apparaissent très majoritaires.
c- le bassin d'Aurillac que l'on atteint ainsi est mixte, ainsi que son rebord volcanique. Dans celui-ci, les toits plats remontent assez loin dans les vallées de la Cère, de la Jordanne, de l'Authre. Le « facteur culturel » dans la répartition des toits y est net : par rapport à sa campagne, la ville d'Aurillac est avant tout « rouge » à toit plats. Dans la vallée de la Jordanne, la progression des toits plats aux dépens des toits pentus est attestée par l'observation des dates des édifices, des granges spécialement. Cette progression a été observée au XIXe siècle et clairement attribuée alors à une évolution des mentalités. Henri de Lalaubie notait ainsi vers 1860 pour la vallée de la Jordanne (Dict. Stat., article Lascelle, t.III, p.520) :
« Le toit de chaume y devient rare ; partout la coquetterie du propriétaire se reconnaît aux pierres de taille et à la toiture en tuile plate et rouge de sa demeure ».
Cette tuile plate doit être ici, sinon la tuile-canal, du moins la tuile mentionnée ci-dessus, adaptable sur les toits pentus, et dont subsistent un certain nombre de témoins en particulier sur des granges.
d- Au NE du bassin de Maurs, au-delà d'une zone de transition surtout rouge, la Châtaigneraie méridionale, dès l'Ouest de Mourjou et de Calvinet, appartient au contraire typiquement à la zone bleue. Celle-ci recouvre ensuite le Veinazès et s'étend, toujours en direction NE, à l'ensemble du Carladès. Cette partie « bleue » de la Haute-Auvergne est peut-être celle qui offre les plus remarquables toits de lauzes, les plus amples ; présents sur une gamme d'édifices très variés, ils parsèment un paysage où l'habitat est particulièrement disséminé (dispersion de « type aquitain »), dans le Veinazès notamment.
e- Au Nord du bassin de Maurs, en Châtaigneraie occidentale les toitures sont "mixtes". On peut essayer de préciser ce tableau :
. Dans la partie de cette Châtaigneraie occidentale qui appartient au bassin du Lot, la tuile-canal paraît largement prédominante du moins sur les maisons d'habitation. Les granges en effet sont des deux types, les granges à toit pentu paraissant souvent plus anciennes que celles à toit plat.
. Au Nord de Glénat - c'est à dire lorsque l'on passe dans le bassin de la Dordogne (par la Cère) - les toits à forte pente deviennent plus fréquents sur les habitations de cette partie de la Châtaigneraie occidentale. Par contre, la cité de Laroquebrou est typiquement « rouge », d'aspect très méridional (même phénomène que pour Aurillac). On y atteint la Cère dont on peut considérer qu'elle marque la limite Nord de la Châtaigneraie.
f- Au Nord de Laroquebrou, la région de socle cristallin comprise entre la Cère et la Maronne appartient à la Xaintrie auvergnate. Elle pourrait être qualifiée de « Xaintrie blanche », surtout dans sa partie occidentale, granitique (région de Roffiac et de Cros-de-Montvert). Du point de vue des toitures, cette partie est « bleue », comme la Xaintrie limousine limitrophe.
Par contre, la partie orientale de cette Xaintrie, tournée vers le massif cantalien, est « mixte ». Elle confine au « Cantalès », petite région de socle cristallin qui s'étend de part et d'autre de la dépression ici Nord-Sud du Sillon Houiller.
Vers le Nord, le long de la route de Pleaux (D2) les derniers toits de tuile canal s'observent au rebord du plateau qui domine les gorges de la Maronne, au hameau du Peyrot juste avant la descente sur le pont des Estourocs. La limite septentrionale de la tuile-canal est atteinte : on est là sur une véritable « frontière des toits ».
g- Au Nord de la Maronne s'étend la Xaintrie noire (région de Pleaux, ainsi nommée car en partie basaltique). Elle appartient typiquement à la « zone bleue ». On note toutefois que ces toits de lauzes ou d'ardoises y souvent moins pentus que ceux des pays d'altitude, particulièrement sur les granges les plus récentes :
Il semblerait donc au vu de cette carte des toits, que le domaine de la tuile-canal venue du SO ait progressé dans deux directions, l'une NE vers Aurillac, l'autre Nord en direction de Pleaux, à travers le massif régressif des toits pentus « gaulois ». Cette dernière direction correspond - ou du moins a correspondu - elle aussi à une voie de passage : au XVIe siècle, l'une des routes Paris-Toulouse effleurait la Haute-Auvergne en passant par les Estourocs et Laroquebrou.
Notons encore que dans les zones mixtes, cette « mixité » correspond souvent à une hiérarchie des bâtiments : maisons et granges s'opposent souvent par leurs toitures, les deux cas de figure étant possibles, tandis que dépendances et fours sont préférentiellement « rouges ». En général - fait souvent noté - une valeur symbolique plus haute semble attachée aux toitures de lauzes (ou ardoises) qui sont souvent - autour d'Aurillac notamment - celles des maisons de maître, des manoirs et châteaux, et aussi de leurs granges. C'est ainsi qu'une très belle toiture de lauzes peut se voir (pour combien de temps encore ?) au Sud du bassin de Maurs, au bord du Lot, à Bouillac (Aveyron) : celle du château qui domine cette bourgade aux toits rouges et plats.
2 - Dualité d'organisation des bâtiments de la ferme
Alfred Durand a distingué quatre types de maisons rurales au sein des massifs volcaniques de l'Auvergne, et en a dressé la carte de répartition suivante :
Pour simplifier, nous rapporterons les types 2 et 3 de Durand à un seul type fondamental : celui des maisons à cour ouverte de Demangeon. Son type 2, "à annexes indépendantes", n'en est en effet qu'une variante remarquable, qui correspond à une "exagération", fréquente dans le haut pays, des distances entre habitation et grange(s).
On voit ainsi que dans la Haute-Auvergne volcanique (massif cantalien, Cézallier, Aubrac) prédominent nettement les deux types bloc à terre et à cour ouverte de Demangeon. Le type «maison en hauteur » sera examiné ensuite.
La répartition de ces deux types fondamentaux est nettement tranchée : schématiquement, les deux versants du massif cantalien et du Cézallier, malgré leur apparente similitude agro-pastorale, s'opposent de ce point de vue. D'après la carte d'A. Durand, cette limite coïnciderait approximativement - au Nord du Lioran du moins - avec celle des bassins hydrographiques de la Dordogne et de l'Allier.
Complétons cette carte d'A. Durand, qui ne concerne que les massifs volcaniques, par les deux cartes données pour l'ensemble de l'Auvergne par A. Poitrineau (1999) et par J.-R. Trochet (2006) :
Cette carte d'A. Poitrineau paraît contredire celle d'A. Durand puisque le type bloc à terre est indiqué ici comme partout présent en Haute-Auvergne. On retrouve ici le problème du « genre ». Les petites exploitations de l'Ouest cantalien ont pu avoir tendance à adopter de préférence le type bloc à terre : elles n'avaient pas nécessairement besoin d'une grange-étable importante puisqu'elles avaient peu de bêtes, et d'autant moins de fourrage à engranger que l'hivernage y est moins long que dans les hautes terres de l'Est cantalien. Le type bloc à terre serait donc en quelque sorte le « fond continu » de l'habitat rural cantalien, celui des exploitants modestes.
Examinons enfin la carte donnée par Trochet (2006, p.245) à partir de Breuillé et al. (1987) :
Sur cette carte plus complexe, on retrouve nettement l'opposition Est-Ouest entre, d'une part à l'Est les diverses variantes de maisons à logis-grange-étable (ces éléments étant alignés, ou perpendiculaires comme dans l'Aubrac), et d'autre part à l'Ouest une dominante de fermes dont les bâtiments sont plus ou moins fortement dispersés.
Résumons donc cette dualité des deux types fondamentaux d'organisation de la maison de Haute-Auvergne et leur répartition :
- Maison-bloc à terre : habitation et grange-étable sont soudées en un seul bâtiment, bêtes et gens vivant, l'hiver du moins, sous un même toit.
C'est le type "oriental" : il est caractéristique non seulement des pays volcaniques (Est du massif cantalien, Cézallier oriental, Aubrac cantalien), mais aussi des régions cristallines adjacentes : Margeride, et par-delà du Gévaudan et du Velay. On retrouvera ce type de maison, au-delà des Limagnes, dans le Livradois-Forez. Notons toutefois la présence de ce type bloc à terre à l'extrême Nord-Ouest du Cantal, au contact du Limousin, comme l'indique la carte ci-dessus.
En voici d'abord un archétype, avec cet exemple de petite maison-bloc de l'exploitant modeste, ici au cœur du massif, à Lavigerie :
La Planèze de Saint-Flour en offre, en quelque sorte à l'opposé de la chaîne des « genres », les exemples caractéristiques, les plus développés de ce type de maison :
- Maison à cour ouverte : la maison de ferme et la grange-étable forment ici des bâtiments séparés. Le terme de "cour" ne doit cependant pas suggérer une régularité comparable à celle que peut présenter ce dispositif dans le Nord de la France, sauf dans le cas de certaines fermes "modèles" du bassin d'Aurillac. Dans cette Haute-Auvergne occidentale, la disposition de ces bâtiments dispersés va dépendre fortement de la topographie, d'où un plan souvent désordonné.
Précisément, en montagne la ou les granges peuvent être relativement éloignées de l'habitation : c'est la variante qu'A. Durand a distinguée et appelée « à annexes indépendantes ».
Par conséquent, pour la Haute-Auvergne, il serait donc préférable, plutôt que de parler de "cour ouverte" d'employer l'expression de "maison à bâtiments séparés, ou dissociés".
Ce type de dispositif ouvert est donc le type occidental, présent à la fois sur les terres volcaniques (versants Ouest et Nord du massif cantalien, versant Ouest du Cézallier), les plateaux cristallins (Xaintrie, Châtaigneraie) et les bassins d'Aurillac et de Maurs :
Les quatre types majeurs suivant les deux critères "toit" et "disposition" :
Il apparaît que les domaines définis par ces deux critères de classification ne coïncident pas géographiquement. Il ressort donc de cette double dualité quatre types majeurs de maisons de Haute-Auvergne. Nous essaierons de les qualifier ainsi :
A- maison-bloc à terre à toit pentu : « type Planèze ».
B- maison-bloc à terre à toit plat : « type Margeride »
C- maison-cour (ou "maison dissociée") à toit pentu : « type Cantalien pur »
D- maison-cour à toit plat : « type Châtaigneraie ».
Parmi eux, c'est le type C qui apparaît comme le plus original et caractéristique du Cantal, le plus emblématique.
A l'intérieur de chacun de ces groupes, va pouvoir se dérouler la gamme des "genres", au sens de J. Cuisenier, en fonction de l'importance sociale du propriétaire ou de l'occupant. Le type de maison se décline en dimensions ,degré de « symétrisation » de l'habitation, nombre et importance de la grange-étable et des annexes, etc.
Avant d'examiner plus en détail ces groupes, il convient d'examiner un troisième critère : celui de la construction en hauteur.
3- Existence de maisons en hauteur
Le type « maison en hauteur » joue un rôle important en Haute-Auvergne. L'idée première que l'on se fait de ces maisons est celle d'un parallélépipède étiré verticalement. Ces maisons sont présentes :
- d'une part dans le bassin de Massiac, au sein de villages denses. Elles s'apparentent à la classique maison de vigneron, typique de la Limagne et de ses marges :
- d'autre part dans la moitié Ouest, et probablement surtout Sud-Ouest, du Cantal. Il peut s'agir ici aussi de maisons de villages, éventuellement en barriades. Mais la maison en hauteur se généralise dans toute cette partie de la Haute-Auvergne : elle est généralement isolée ; son accès caractéristique se situe au premier étage grâce à un escalier extérieur longitudinal menant à un balcon protégé par une avancée du toit (balcon-terrasse dit bolet à l'Ouest, aître ou estre à l'Est).
Exemple en Xaintrie (in Maumené, Vie à la Campagne) :
En Châtaigneraie occidentale :
En descendant du cœur du massif cantalien vers le Sud-Ouest, la maison en hauteur apparaît dès les hautes vallées de la Cère et de la Jordanne. Elle se répand dans le bassin d'Aurillac, dans le Carladez. Mais elle se rencontre aussi plus au nord, en Xaintrie. Elle devient caractéristique dans l'ensemble de la Châtaigneraie, où le balcon et la structure en bois qui l'accompagne prennent leur développement maximum. Le caractère de la maison, au toit plat et rouge, devient ainsi franchement méridional. D'une façon générale, la maison en hauteur semble apparaître dès que les conditions climatiques deviennent moins rudes.
Notons la tendance à l'allongement que présente souvent la maison en hauteur, en particulier dans le Carladès et en Châtaigneraie, soit qu'il s'agisse d'un plan originel, soit que cette forme allongée résulte d'accroissements :
Géographiquement, du point de vue du type de toiture, cette maison existe aussi bien dans les zones « bleues » que dans les zones « rouges ».
Notons la place que la maison en hauteur occupe dans la hiérarchie des genres. Elle semble en effet absente de la catégorie la plus inférieure, sauf peut-être en Châtaigneraie, les maisons les plus élémentaires restant en général au sol. Le contraste entre les deux barriades du hameau de Raymond (haute vallée de la Jordanne) pourrait illustrer ce fait : la barriade pauvre est au sol ; l'autre, manifestement plus riche (et probablement plus récente) est formée de maisons en hauteur.
A l'opposé, le type en hauteur n'apparaît semble-t-il jamais dans le genre "maison de maître". Si le rez-de-chaussée de celle-ci est fréquemment surélevé, c'est toujours par lui et non par l'étage que se fait l'accès à la maison, souvent au moyen d'un perron plus ou moins majestueux. Le bolet n'existe pas dans ces maisons qui affichent leur caractère hiérarchiquement supérieur.
Par conséquent, la maison en hauteur nous apparaît comme un type essentiellement paysan, qui serait comme l'idéal du propriétaire plus ou moins aisé des pays de la Haute-Auvergne "heureuse".
Ce serait ainsi reconnaître l'existence d'une composante culturelle dans le choix de cette maison.
D - Récapitulation typologique
Les quatre types majeurs (Planèze, Cantalien pur, Margeride, Châtaigneraie) distingués ci-dessus à partir des deux critères "toit" et "disposition" peuvent-ils être subdivisés à l'aide du critère "construction en hauteur ou basse" ?
Existence de types hybrides ou mixtes entre maison-bloc à terre, à cour, et bloc en hauteur ?
Suivant Demangeon, la maison-bloc en hauteur constitue un type distinct, qui est donc par définition incompatible avec ces deux autres types que sont : la maison-bloc à terre - dite encore maison à logis-grange-étable alignés sous un même toit -, ainsi qu'avec la maison à cour (ouverte ou fermée).
Une ambigüité pourrait tenir à l'emploi du terme "hauteur" : n'y a-t-il pas confusion entre maison en hauteur et maison haute, c'est à dire à étages. Le terme "maison en hauteur" suppose que l'habitation possède au moins deux niveaux superposés (rez-de-chaussée et un étage) et que l'accès se fasse par le second niveau. Par contre, une maison haute, même avec plusieurs étages, ne sera pas "en hauteur" si l'accès s'en fait par le rez-de-chaussée.
- Poitrineau (1999, p.66) a admis l'existence de types mixtes, "issus de compromis entre maison-bloc en hauteur et maison-bloc à terre". Il s'agit pour lui des maisons de type Planèze, à cause du décrochement caractéristique du faîte de leur toiture à la jonction entre habitation et grange-étable.
Il nous semble pour notre part que l'existence de ce décrochement en hauteur ne suffit pas pour faire de ces maisons un type particulier. En effet, il semble qu'en Planèze l'entrée de l'habitation se fasse, en règle très générale, au rez-de-chaussée. Ce sont des maisons hautes (très souvent à trois niveaux), mais non pas des maisons en hauteur. Il se pourrait que la préférence accordée dans ces régions orientales à un tel mode d'accès "bas", tienne en partie à un facteur culturel.
Toutefois, certaines maisons-bloc semblent à première vue illustrer ce qui serait un type mixte. Ainsi de cette maison de Mazieu (vallée de la Jordanne) dont la partie habitation offre un caractère "en hauteur" assez net :
En fait, on constate qu'il y a discontinuité du bâti : la grange, postérieure, a été accolée à l'habitation en hauteur. Ce n'est donc pas le type bloc pur, mais une forme de convergence avec lui.
Par conséquent, dans la catégorie des maisons à toits aigus, les deux types bloc à terre et en hauteur nous semblent effectivement incompatibles.
- Parmi l'ensemble des maisons à toit plat, notons qu'il existe, en Châtaigneraie, des édifices qui sont à la fois de type bloc, nettement allongés, et à accès à l'étage par escalier et galerie. La maison figurée par Poitrineau (1999, photo 61, p.63) est un exemple (même si, très probablement, le bâtiment a été allongé vers la droite) :
Une telle "longère à galerie" pourrait donc être qualifiée de "maison longue en hauteur". Or ce modèle parallélépipédique en longueur et à galerie, non seulement est présent en Châtaigneraie, mais est très caractéristique, par son jeu de volumes et de matériaux, de l'habitat rural de cette région. Poitrineau (op. cit. p.63) note que "cette maison d'allure très méridionale [se] retrouve jusque dans le bassin d'Aurillac".
Faut-il rattacher ce type ambigu au type bloc à terre, ou au type bloc en hauteur ?
Il est évidemment possible que cette maison puisse être seule présente, sans bâtiments associés, dans le cas de petites exploitations. Elle serait alors réellement un exemple de bloc en longueur, et pourrait être le modèle de base des régions occidentales, symétrique du modèle bloc à terre pur, caractéristique des montagnes de l'Est. Toutefois, lorsque l'on considère ces maisons à toit plat de Châtaigneraie ou du bassin d'Aurillac, il semble que ce type "longère à galerie" corresponde non à des maisons élémentaires, mais plutôt à des maisons d'un "genre" plus élevé, à l'architecture plus élaborée.
Nous pouvons aussi tenter de répondre à la question en considérant le contexte de ces maisons "mixtes" : c'est celui de l'Ouest de la Haute-Auvergne, où règne le type d'organisation à bâtiments dispersés. Nous rattacherons donc ces maisons au groupe qui associe : toit plat, cour ouverte, et construction en hauteur.
E - Conclusion typologique
En définitive, le troisième critère considéré (hauteur ou non) permet de subdiviser les deux types à cour ouverte précédemment définis (types C et D). Ce qui conduit à distinguer six types principaux de maisons paysannes (en laissant de côté les maisons de bourg, telles qu'en particulier la maison en hauteur du bassin de Massiac) :
A - Maisons à toit aigu :
1- bloc à terre : c'est la maison d'altitude par excellence, le type "montagnard" de J.-L. Baritou (1975, photo p.75), le type Planèze, dans sa forme la plus accomplie (avec décalage caractéristique des toitures) :
En Aubrac cantalien, ce type peut se modifier par l'adoption d'une disposition en L, marquant ainsi l'influence du proche Rouergue (ici dessinée par A. Durand) :
Les cas 2 et 3 subdivisent le type "Cantalien pur" ci-dessus :
2- à cour ouverte, et au sol ; pourrait être appelé type Salers : maison au sol, couverte de lauzes, à grange-étable séparée, parfois éloignée de l'habitation :
3- à cour ouverte, et en hauteur : pourrait être qualifié de type Carladez.
NB : ces deux derniers qualificatifs de pays n'étant nullement exclusifs mais ne cherchant qu'à indiquer une fréquence plus grande.
B - Maisons à toit plat :
4- bloc à terre : type Margeride et des plateaux cristallins orientaux. Notons cependant que dans ces maisons, le logis peut assez souvent posséder un toit pointu, contrairement à la grange-étable (cf. dessin de Claude Gauthier) :
Les cas 5, 6 subdivisent le type général Châtaigneraie :
5- à cour ouverte, et au sol : nous l'appellerons type bassin d'Aurillac, car géographiquement il semble plutôt septentrional ; mais il est présent aussi en Châtaigneraie occidentale et en Xaintrie. Du point de vue du genre, il semblerait plutôt correspondre à un type hiérarchiquement inférieur :
Il semble aussi aboutir au terme de l'évolution architecturale de la maison traditionnelle à ce que l'on pourrait appeler la "maison de banlieue aurillacoise", typique dans le bassin d'Aurillac à la fin du XIXe siècle et du début du XXe : maison basse, symétrique, éventuellement à longues lucarnes. Mais elle s'exprime aussi sous la forme plus évoluée de maison bourgeoise, voire maison de maître, de volume important, à façade ordonnancée :
6- à cour ouverte, et en hauteur : ce sont les maisons à escalier extérieur et galerie, y compris la variante étendue en longueur représentée par la variante, ou plutôt la tendance, "longère à galerie" discutée ci-dessus. Ces maisons caractérisent le type Châtaigneraie en hauteur, ou Châtaigneraie pur, surtout présent en Châtaigneraie méridionale et dans le bassin de Maurs :
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(à suivre)